Une.Tortue

Carapace de mots

[Jeudi 15 novembre 2012 à 0:43]

Ma tête est une boite à images. Une boite qui s'emplit toujours et sans arrêt. Une boite qui te laisse regarder en elle sans trop opposer de résistance. Une boite quoi; Avec un couvercle, de jolies couleurs, un grand foutoir. Je vois çà comme une accumulation de cassettes vidéo. De films d'Avant. De DVD de maintenant. Je parle pas des Blu-ray. J'ai pas les moyens d'investir dans cet investissement. J'y ajoute les cartes mémoire et les cartes SD. J'y rajoute une bonne dose de sable qui croque et qui raye. Des coquillages. Des mots doux. Un morceau de soleil. Un ou deux galets de Là Bas.

Quand tu regardes bien, dans cette boîte, dans son historique, y'a eu un brusque pic d'affluence. Un pic monumental au milieu de l'oscillation tranquille d'une vie paisible et sans grands chocs. Tu y vois un brusque afflux de vie. Des tonnes et des tonnes d'images. Des heures et des jours et des semaines de mémoire enregistrées avec tellement de soin qu'un an et demi plus tard, je pourrais presque revivre ces journées minute par minute. Je pourrais. Je ne plaisante même pas. Et non, je ne vous parlerais pas de ma mémoire épidermique. Non. Non, j'ai dit. Non. Bon. Disons que j'ai une boite à images et une sorte de film ultra sensible sur le corps. Ou plutôt non, disons que je me retrouve sans ma couche épidermique protectrice. Je suis à nue. Complètement nue. Nue et hypersensible.

Il y a une main dans cette boite à souvenirs qui a retiré ce voile. Une main appartenant à un sourire, à des fesses, à un ventre, à un nez, à des jambes afflubées de pieds, et à des bras. Et une deuxième main. Et je ne vous parle pas des lèvres. Ni des yeux. Ni des pommettes. Ni des fossettes. Ni des pattes d'oie quand il riait. Non, non, non. Stop. Aurélie, tu te tais.

Non, je vous parle de cette boite et de ce film absent. C'est bien suffisant. Non mais oh. 

Hier dans la nuit, j'ai rêvé d'un garçon de ma classe. J'ai rêve de toute ma famille en fait. De copines de la fac, du lycée et du collège. Le boulot. Et j'étais à l'aéroport. En aparté, je dirai que j'aime vraiment quand mon cerveau m'offre des retrouvailles avec de vieux amis. Qu'il les fait réagir comme ils réagiraient dans la réalité. Je sais que c'est moi qui décide tout mais çà fait du bien de ne pas sentir, justement, que je maitrise tout dans le déroulement de ce rêve. Comprenez? 
Donc j'ai rêvé de ce garçon. Il a quand même 25 ans. Mais il a un problème épidermique particulièrement dur à assumer je pense. Il a une immense tache de vin qui lui recouvre tout le menton et la moitié de la figure. Ajouté à çà, une acné agressive et une inflammation de la lèvre inférieure. Bref, çà doit vraiment pas être évident à gérer. Et je ne sais pas s'il a une copine.
Tout ce que je sais, c'est qu'il est très gentil et qu'il a des yeux vert clair. De très beaux yeux verts.

Bref, j'ai rêvé de lui. On était roulé en boule sur des poufs particulièrement peu confortables l'un contre l'autre et tête bêche. Trop pratique. Et à un moment, j'ai senti sa main toucher mes reins. Juste un doigt qui a fait une boucle tout en bas de mon dos.. Noyée dans mon rêve, j'ai ressenti tellement fort, tellement intensément ce contact.. J'ai senti s'éveiller chaque cellule de peau en contact avec cette main. Une sensation si forte qu'elle en était douloureuse. Je me suis rebellée. Parce que quand même, on est pas intime, oh! et brusquement, il se retrouvait roulé en boule contre moi. Son dos contre mon ventre et il avait calé sa tête entre mes bras..

Parfois, je dois dire que je déteste profondément mon Inconscient pour les douleurs qu'il déclenche pour la journée. L'homme que je tenais ainsi contre moi n'était plus l'homme de ma classe. C'était mon homme à moi. Et çà, c'est vache. Vache de me souvenir à quel point je me retrouvais noyée dans cette cascade de tendresse qui me tombait dessus quand il venait sous la couette, s'attacher à moi. Souvent, sa tête venait se poser sur mon ventre ou juste sous mes seins. Il passait ses bras autour de moi. Quitte à perdre la circulation dans celui qui passait dans mon dos. Et il me tenait, comme çà. Il ne disait jamais rien, tu vois. Mais sa douleur, sa solitude et son besoin de tendresse parlaient pour lui. Quand je levais la couette pour faire un peu de lumière, il la rabattait en grognant et me serrait encore plus fort. 

Tous les matins, il attendait que je me réveille. Il voulait attraper mon premier regard. On dormait si peu. Si peu. Chacun avait un besoin immense de l'autre. On a vécu en osmose, vous savez. Alors le matin, on se réveillait vers six heures et quelques. Il me prenait dans ses bras, on comatait pendant de longues minutes qui passaient à la vitesse de secondes pressées. Puis son réveil se mettait en route. On grognait pour la forme puis il me déposait sur mon oreiller et se levait en frissonnant. Prenait son petit dèj' puis montait à la salle de bain. Une fois rasé, propre et parfumé mais pas encore habillé, il revenait dans le lit. Il fallait que je fasse attention à ne pas déranger sa coiffure alors tous les quatre matins, je lui faisais une coupe à ma façon et il pestait. Mais il sentait bon. Incroyablement bon. Et il était tout doux. J'avais le droit à un nouveau câlin et il partait travailler.

Ces journées ont été les plus douces de toute ma vie. Si, si. Les plus douces. J'étais pour la première fois de ma vie, au bon endroit, au bon moment. Rien ne m'attendait nulle part. J'étais libre de faire ce que je voulais. Aucun impératif. Aucune date butoir. Aucun engagement. Rien. Le néant. J'étais libre, à l'heure, là où je voulais être. Les plus douces et les plus belles. De très, très, très loin les plus belles.

Le midi, il rentrait. On mangeait puis on s'autorisait une micro sieste tous les deux. On dormait jamais beaucoup. Et il partait toujours à la dernière minute à son boulot. Je devais le pousser hors du lit.

Le soir, on prenait l'excuse d'un film. Mais on n'en voyait jamais plus que la première demie heure.

Quand il m'embrassait, çà lui faisait mal au ventre. Moi çà me faisait rire.

Les plus belles images sont gravées. Dans ma tête, ma chair. Mes yeux. Mes mains. Tout, partout. Je suis marquée à vie par le Premier. 

L'histoire est maintenant sordide. Son corps a été souillé par une Autre Fille. Mes mains n'y trouveront plus leurs marques. Mon corps même n'a plus envie de l'aimer. Je suis juste encore remplie à ras bord de cette tendresse. De cette inquiétude de mère.

En me caressant tout le corps, il a éveillé un mécanisme vorace et immensément généreux. Il a éveillé ma capacité à ressentir. J'étais en veille jusqu'à ce ce que ses mains viennent descendre le long de mon dos. Le réveil fut brutal. Douloureux. Déconcertant. J'ai été prise au dépourvu par cet amalgame de sentiments et de sensations. Chacun de ses doigts déclenchait une cascade de feu. J'en arrivais à ne plus pouvoir supporter ses mains sur moi. J'en criais presque de douleur. Je devais le forcer, m'enrouler dans ma couette. Le supplier. Il ne comprenait pas. Il a compris cette année. Il ne comprenait pas et revenait à la charge. J'étais obligée de quitter le lit pour apaiser mon épiderme dont la douleur était telle que je ne savais comment la faire sortir de ma peau. J'en ai pensé à m'écorcher la peau pour la laisser s'échapper. Mais une telle sensation. Une telle sensation........ 

Je me suis sentie infiniment vivante. Infiniment humaine. Appartenant à ce cosmos et cette atmosphère. J'ai ressenti. Ressenti pour la première fois, la pression d'un corps sur le mien. Le frisson de Douceur Douleur qui accompagnait ses lèvres le long de mon cou. La cascade brûlante qui accompagnaient chacun de ses dix doigts sur l'ensemble de mon corps. J'ai senti. Je suis née l'année dernière. Je me suis éveillée aux contacts humains.

Je suis devenue un corps réceptif. Un corps émetteur. La tendresse, le bien être, l'envie de rendre heureux mes Plus Proches ont explosé exponentiellement et depuis, je ne me suis plus arrêtée de prendre soin des gens autour de moi.. Mon attitude pourrait surprendre mais c'est complètement désintéressé. Je veux juste pousser les gens dans le bon sens.

Vous savez, je ne sais pas si je suis amoureuse. Je ne pense pas l'être. Parce qu'il parait que quand on aime, on ressent quelque chose en embrassant les lèvres de l'autre. Et moi, je dois avouer que çà me laisse perplexe. Parce que je ne ressens absolument rien. J'aime bien l'embrasser quand il me réclame. Mais je ne l'embrasse jamais de mon plein gré (et çà ne risque plus d'arriver maintenant). Donc je m'accroche à ce détail pas si insignifiant. Pour le reste, je suis juste dépassée par la tendresse qui sort à gros bouillons de moi. Je ne sais pas la canaliser. Quand il a mal, j'ai mal. J'en suis à gémir d'impuissance. A me répéter en boucle qu'il aurait fallu que j'aille habiter chez lui. On y a pensé en plus. Avant. J'aurais débarqué chez lui en dix minutes pour le serrer à l'étouffer contre moi. C'est surtout çà dont j'ai envie. De câlins. Je veux le tenir contre moi. je veux avoir ses cheveux dans mes mains. Je veux pouvoir dessiner les contours de son visage avec mes doigts et voir tressaillir son sourire parce que je le chatouille. 

Je veux pouvoir l'avoir sous mes mains. Je veux pouvoir apaiser son ventre en posant ma main bien à plat dessus. Je veux pouvoir dessiner l'arc parfait que dessine ses fesses. Je veux pouvoir sentir sa main attraper la mienne et la poser dessus. Je veux pouvoir sentir son sourire quand je m'attarde dessus. Je veux. Cette zone de son corps a toujours été la base de notre complicité. Lui qui se trouvait si peu attirant.. Si peu beau.. Cette zone était mienne. Jusqu'à il y a peu. Je ne sais pas si Elle y a touché.

Mais tu vois, maintenant, je ne sais plus où marcher. Je ne sais plus le voir comme une terre vierge. Je le vois comme un terrain piétiné par d'autres pas. Je l'ai eu la première. J'ai pu déblayé le terrain. Niveler des zones de plat où se reposer. J'ai pu lui apprendre à se sentir beau. A se sentir bien. On a tous les deux grandi en même temps. Grâce l'un à l'autre. On avance toujours ensemble. Elle nous a fait grandir d'un coup. Mais il est vrai que maintenant, je ne sais où me placer. J'ai toujours envie de t'avaler ta douleur. Mais.. Pourrais-je encore te toucher?

On ira voir la mer.

J'aurais tellement voulu qu'on s'aime en même temps.. 

Avis sur la question

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Par madi. le Jeudi 15 novembre 2012 à 7:50
ça faisait bien longtemps que je n'avais pas sentie mes larmes coulées.. et ce texte.. a été le "déclencheur".. merci.. ça me permet au moins de voir que je suis encore vivante.. et en même temps ça me fait mal pour toi.. parce que lorsque tu en parles .. ça parait tellement "magique".. qui peut se vanter d'avoir pu ressentir toutes ces émotions et pouvoir les retranscrire aussi bien. .. erf.. je suis nulle pour le "réconfort" .. à mon plus grand désespoir.. bisous..
Par wgtc le Jeudi 15 novembre 2012 à 23:56
je suis content d'apprendre qu'il y avait une personne qui lisait :)
Par wgtc le Vendredi 16 novembre 2012 à 0:17
si pourtant... je laissais toujours les commentaires ! (c'est la moindre des choses)
Par Kyra le Mercredi 21 novembre 2012 à 15:40
Tu as été la première. Et ça, ça compte énormément.
Par Le.souvenir.d.une.etoile le Mercredi 19 décembre 2012 à 10:30
cette sensation brute .. sans détour .. qui t'a ravagée toute entière et qui continue encore ...
l'amour que tu décris est bien plus forte que juste cette sensation d'aimer embrasser quelqu'un
 

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